«Splendid’s» : rencontre avec Arthur Nauzyciel

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Nouveau pari fou pour Arthur Nauzyciel : monter «Splendid’s» de Jean Genet, avec une équipe d’acteurs américains et l’un de ses comédiens français fétiches.

Culture

«Splendid’s» : rencontre avec Arthur Nauzyciel

Du 14 au 16 janvier, le directeur du CDN invite les spectateurs à découvrir une pièce intense et animale, au Théâtre d’Orléans. Rencontre.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de monter une pièce de Jean Genet, auteur très subversif et scandaleux à son époque ?

C’est toujours passionnant de monter des spectacles subversifs, de se frotter à des univers qui remettent en question nos acquis, nos idées toutes faites… Mais en fait, je n’ai pas tout de suite pensé à Genet. Ce que je cherchais d’abord, c’était un projet me permettant de retrouver des acteurs américains avec qui j’aime travailler et qui, pour la plupart, étaient dans Jules César. J’avais envie de continuer à entretenir ce lien, cette complicité avec des comédiens qui connaissent bien mon travail.

Pendant que nous étions en tournée, je me suis souvenu de cette pièce que j’aime beaucoup, Splendid’s, de Jean Genet. Et j’ai eu un flash : transposer sur scène la rêverie de Genet, écrite en prison en 1948, dans laquelle il fantasme un groupe de gangsters américains prenant en otage la fille d’un milliardaire, dans un hôtel de luxe des années 1930, à Chicago. J’avais envie de ce lien entre la France et l’Amérique, mythique, fantasmatique, et je me suis dit que cela aurait du sens joué en anglais par une équipe américaine. Que ce serait comme incarner physiquement ce à quoi Genet a rêvé, enfermé dans sa cellule, ce qui a hanté ses nuits. Et d’injecter dans cette dynamique un acteur français, dans le rôle du flic qui trahit le camp des policiers pour épouser la cause du banditisme. C’est passionnant et émouvant de voir comment toute cette énergie peut se rencontrer sur un plateau.

L’utilisation de l’anglais donne une intensité à la pièce, devenue une « danse de mort »...

Ces gangsters prisonniers dans l’hôtel savent que la police va donner l’assaut bientôt. L’heure à laquelle on assiste en tant que spectateur est probablement leur dernière heure. Le propos de la pièce est de savoir ce qu’ils vont faire de ces derniers instants, comment ils vont tenter de retarder l’inévitable, et comment eux-mêmes vont choisir leur fin. Se rendre ou mourir ? L’anglais est une langue formidable pour les acteurs. D’où mon envie de prendre ces Américains qui sont de bons acteurs de théâtre mais qui ont aussi l’habitude du cinéma et des séries télé. La langue anglaise amène également pour des spectateurs une sensation de l’ailleurs. Nous avons travaillé sur un surtitrage lisible et simple pour rendre la pièce accessible au plus grand nombre.
Aujourd’hui, le public du Centre dramatique a l’habitude de voir des spectacles surtitrés, je suis très fier de cela. Et puis, monter un auteur français dans une langue étrangère crée une nouvelle écoute d’un artiste que l’on croyait connaître. Ce paradoxe permet de vivre une expérience théâtrale d’une autre nature.

Arthur-Nauzyciel

Inoubliable Marc- Antoine dans Jules César, il joue beaucoup au théâtre et dans des films indépendants.

Justement qu’as-tu redécouvert à propos de Jean Genet ?

En travaillant sur la pièce, j’ai redécouvert à quel point Jean Genet était un écrivain fascinant et majeur du 20e siècle, un auteur certes subversif, mais incroyablement novateur aussi, qui a reconstruit une écriture. Avec une trajectoire hallucinante : orphelin, placé dans des colonies pénitentiaires, il s’est prostitué, il a traversé l’Europe de l’Est à pied, il a été mis en prison et, dans l’enfermement, il a écrit une oeuvre primordiale. C’est quelqu’un qui a toujours été du côté des opprimés, de la marge, jusqu’à la fin ; écartelé aussi car une fois devenu célèbre, il n’a plus eu d’inspiration, se sentant comme s’il avait trahi ses origines. Splendid’s, qui est une pièce sur la trahison, l’abandon et le reniement de soi-même, est un peu une image du Genet qui quitte la prison, le monde du banditisme qui l’a tant inspiré, pour devenir un écrivain connu.

Comment as-tu imaginé la scénographie ?

Je voulais quelque chose de beau, d’imposant. Avec la même équipe artistique que Jules César, Jan Karski…, nous avons travaillé dans la continuité, de manière à raconter au public une histoire, à montrer que tous ces spectacles sont liés. On est donc dans un décor gigantesque, onirique, évoquant à la fois l’hôtel de luxe mais aussi la prison, un lieu à la fois réaliste et espace de projection pour l’imaginaire du spectateur. Il est un personnage à part entière, qui exerce une force magnétique. On a peu l’habitude de voir une scénographie comme celle-là, elle réserve une vraie surprise !

Pour toi, qu’apporte l’art à l’être humain ?

L’art permet aux gens de se construire. On pourrait vivre sans, mais je pense qu’on vivrait moins bien ! Dans les périodes difficiles que l’on traverse, l’art est une façon d’appréhender la complexité du monde dans lequel on vit. Et peut-être de moins subir ce qui relève de l’injustice, de l’exclusion, du mépris que l’on a tendance à avoir, je trouve, pour la vie intellectuelle et sensible des gens. D’une certaine façon, en ne considérant pas l’art comme essentiel, on nie à l’homme sa capacité spirituelle, intellectuelle, créative. Au CDN, nous voyons tous les jours, dans les liens que nous avons avec le public, que l’art apporte quelque chose d’essentiel, qu’il en conforte certains, questionne d’autres, aidant à affronter le monde, à le rendre plus supportable. Je suis très heureux de tout ça, de sentir que quelque chose s’est construit au fil des années.

Les acteurs

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Jared Craig

Il a joué Lucius dans Jules César de Nauzyciel, Roméo dans Roméo et Juliette, Puck dans Songe d’une nuit d’été… Il a étudié le théâtre à la London Academy of dramatic arts et à l’Université de Boston.

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Isma’il Ibn Conner

Il a joué dans la pièce de Koltès, Black Battles with dogs, mise en scène par Arthur Nauzyciel, et dans une autre pièce du même auteur, Dans la solitude des champs de coton, mise en scène par Éric Vigner. Toutes deux jouées à Orléans.

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Neil Patrick Stewart

Il est acteur, auteur, metteur en scène et professeur de théâtre.

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James Waterston

Fils de Sam Waterston, il a joué au cinéma dans Le Cercle des poètes disparus et à la télévision dans Six Feet Under, Urgences ou encore New York, Unité spéciale

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Daniel Pettrow

Inoubliable Marc- Antoine dans Jules César, il joue beaucoup au théâtre et dans des films indépendants.

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Rudy Mungaray

Il a joué dans les séries Boardwalk Empire et Blue Bloods. Il est aussi réalisateur et scénariste.

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Timothy Sekk

Il s’est produit dans Othello et Henry IV aux États- Unis. À la télévision, on l’a vu dans les séries Elementary, Person of Interest et All my children.

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Xavier Gallais

Rompu au cinéma, à la télévision et au théâtre, il a été, cet été, Le Prince de Hombourg, mis en scène par Giorgio Barberio Corsetti, au Festival d’Avignon. Il a joué dans Ordet et La Mouette sous la houlette de Nauzyciel.

LES RENDEZ-VOUS AUTOUR…

RÉPÉTITION OUVERTE
Jeudi 8 janvier 18h, salle Jean-Louis Barrault L’ensemble des créateurs de Splendid's de Jean Genet, mise en scène Arthur Nauzyciel, sont accueillis en résidence au CDN aux côtés des comédiens américains et de Xavier Gallais. Entrée libre, réservation conseillée au 02 38 81 01 00 ou billetterie@cdn-orleans.com

CINÉ-CLUB DU CDN
Lundi 12 janvier 19h30 Cinéma Les Carmes Projection du fi lm Querelle (1982, 1h48), réalisé par Rainer Werner Fassbinder (sous réserve).

RENCONTRE
Jeudi 15 janvier Atelier du CDN Dialogue avec l’équipe de Splendid's à l’issue de la représentation.

ORLÉANS BIS
Vendredi 16 janvier 19h Atelier du CDN Joëlle Gayot reçoit Albert Dichy

EN SAVOIR PLUS

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