Rencontre avec Guillaume Canet et Stéphane Brizé

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Dans Hors-saison, en salle à partir du 20 mars, Guillaume Canet entre dans la cinquantaine et fait face aux désillusions de la vie. Nous avons rencontré l’acteur et le réalisateur Stéphane Brizé au cinéma Pathé Orléans, à quelques jours de la sortie du film, présenté à la Mostra de Venise 2023.

Culture

Rencontre avec Guillaume Canet et Stéphane Brizé

Stéphane Brizé, on vous a quitté avec un triptyque sur le monde de l’entreprise. On vous retrouve en 2024 avec un film plus intimiste, une histoire d’amour.
Stéphane Brizé (réalisateur du film)
 : J’ai fait des films auparavant sur le couple, la famille, des sujets qui m’intéressent beaucoup. Mes films comme La Loi du marchéEn Guerre et Un autre monde, se sont enchaînés car ils se sont invités les uns après les autres de manière assez naturelle. Finalement, cela a créé une sorte de fil rouge, une histoire en plusieurs chapitres. Hors-Saison est la conséquence de l’énergie de ces trois films qui sont des films de désillusion. J’ai fait la même expérience que mes personnages, ressenti un peu d’abattement. J’étais dans cet état introspectif, de reprendre mon souffle, le COVID s’était invité sur la planète, Hors-Saison est né de tout cela, d’une traversée de l’ordre de l’intime. J’écris des films pour mieux comprendre le monde et mieux me comprendre moi dans ce monde. Il y a comme un arrêt du mouvement dans Hors-Saison et il parle aussi de mes questionnements face au temps qui passe lorsque l’on atteint la cinquantaine. Est-ce que j’ai fait les bons choix ? Poussé les bonnes portes ? Rencontré les bonnes personnes ? Toutes ces choses que l’on brasse dans la vie moi de par mon métier j’en fais des films. Je raconte des histoires.

Guillaume Canet, qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
Guillaume Canet
 : Le personnage de Mathieu m’a touché. Et ce n’est pas parce que j’ai vu en lui des choses que j’avais vécues ou que j’allais vivre bientôt (rires). Ce n’est pas tant le parcours de l’acteur qui m’a séduit mais celui de l’homme. Je suis touché par cette idée que l’on puisse se poser des questions sur les choix que l’on a fait dans sa vie, se demander si ce sont les bons. C’est en cela je trouve que le film très réussi : il s’adresse à tout à chacun. On a tous cette possibilité de se retrouver à un point de basculement de sa vie à un moment donné. Je pars toujours du principe que l’on avance dans un chemin et que même si ce n’était pas le bon, on a quand même appris quelque chose. Là en l’occurrence, ce personnage s’est perdu, a été au bout de sa logique mais en même temps il a appris quelque chose sur lui. C’est touchant. Rien n’est jamais définitif. On peut se tromper, avoir fait de mauvais choix. Il faut en tirer les leçons. Ce n’est pas du temps de perdu.

Stéphane Brizé : Décider de faire quelque chose de ces erreurs de parcours dans la vie demande du courage. Les deux personnages sont des gens courageux. Ils vont se confronter à leur propre histoire. Il faut se mettre en danger si on veut apprendre de nos moments d’égarement.

C’était particulier d’interpréter un personnage qui soit comédien dans le film, un peu comme une mise en abyme ? 
Guillaume Canet : Non j’étais vraiment focalisé vraiment sur l’homme en fait, sur ses failles. Bien sûr, je n’étais pas surpris par les scènes puisqu’on a la même profession. Je n’avais pas d’entraînement particulier comme pour d’autres rôles où il faut découvrir un métier. Je savais ce que c’était que de me retrouver à devoir faire un selfie en slip de bain à la piscine (rires). Ça m’est arrivé de vivre des situations assez absurdes !

Stéphane Brizé : Je me suis moi-même beaucoup questionné sur le choix du métier de mon personnage. Les gens pensent qu’un acteur n’a pas de problème.

Guillaume Cané : Ils devraient venir passer une journée avec moi ! (rires)

Stéphane Brizé : Pourquoi le personnage est acteur ? Il y a quelque chose de poétique je trouve dans ce choix. Il n’y a pas un être au monde qui m’émeut plus qu’un acteur, que quelqu’un qui joue. Un artiste n’a rien d’autre que lui-même pour traduire ses émotions. Il va sur le plateau avec son matériau, ses larmes, sa propre vie. Et il te dit : « Vous allez faire avec ce que je suis ». Je trouve cela tellement émouvant. L’acteur pour moi est comme une parabole de notre condition humaine. Traverser la vie, être en vie, c’est héroïque. Si on nous informait à la naissance de tous les rebondissements, les bouleversements que nous allions vivre, nous serions peut-être effrayés. Or nous y allons car nous ne savons pas. C’est comme une nécessité d’être au monde. Et en même temps, il y a quelque chose de dérisoire. Si un acteur ne fait pas un film, tout le monde s’en fou. C’est ce mélange entre héroïsme et dérisoire qui m’interpelle.
Le fait que ce personnage soit acteur permet d’explorer beaucoup de choses. Il se retrouve au fond du gouffre, ce qui crée des situations cocasses. Mais comme il est très célèbre, lorsqu’il retrouve cette femme qu’il a aimée, il incarne à ses yeux une sorte de Superman, quelqu’un qui a réussi sa vie. Alors que pour elle, il y a eu des renoncements dans sa vie. Elle projette sur lui quelque chose qui n’existe pas complètement.

Guillaume, vous formez un très beau duo avec Alba Rohrwacher dans le film. Vous êtes dans une partition de tendresse. Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Guillaume Cané : On a un peu échangé sur nos personnages, sur le passé que l’on avait pu imaginer pour chacun de nos personnages. Mais j’aimais bien aussi l’idée d’un état sans trop de travail. C’est-à-dire de deux personnes qui se retrouvent au bout de quinze ans. Il s’est passé des choses, lui a changé, est devenu quelqu’un de connu, elle s’est mariée et a eu un enfant. Il y a des blancs. Je tenais à cette idée de découverte et de fraîcheur entre nous, de jouer la convention que l’on se connaît, mais finalement on ne se connaît pas si bien que cela. Le talent d’Alba est phénoménal. Jouer avec elle, c’est quelque chose de rare. C’est rare d’avoir ce sentiment en jouant qu’on est littéralement transporté par l’autre.

Stéphane Brizé : J’envisage toujours la fiction comme un documentaire. Je n’ai écrit cette histoire qu’avec ce que je suis et je ne vais faire qu’avec ce qu’ils sont. En l’occurrence, il y a un matériau Guillaume et un matériau Alba. J’ai choisi Guillaume car il m’intrigue, il est passionnant à regarder. Même après avoir tourné avec lui, je n’ai pas percé le mystère. Alba aussi est passionnante à regarder. Réunir ces deux êtres ensemble provoque quelque chose. Il faut ces gens passionnants et mystérieux pour raconter des histoires qui ont l’air simples et révéler ce qui est en creux, ce qui n’est pas un écrit.

Vous jouez beaucoup sur les silences, les échanges de regard…
Guillaume Canet : J’adore les silences au cinéma. J’ai vraiment appris cela avec François Cluzet qui sans arrêt sur Ne le dis à personne me demandait de supprimer des répliques. Il me disait : « Je préfère les jouer plutôt que les dire ». C’est fascinant pour un acteur de pouvoir avoir cette liberté-là, ce temps et cette confiance du metteur en scène pour laisser passer certaines émotions par le silence. C’est quelque chose de formidable. Je trouve cela très important qu’aujourd’hui des metteurs en scène aient cette envie de faire en sorte que ce cinéma perdure.

Propos recueillis par Emilie Cuchet

Hors-Saison
Film de Stéphane Brizé · 1 h 55 min ·
Sortie le 20 mars 2024
Genres : DrameRomance
Avec Guillaume CanetAlba RohrwacherSharif Andoura

Synopsis : Mathieu habite Paris, Alice vit dans une petite cité balnéaire dans l’ouest de la France. Il caresse la cinquantaine, c’est un acteur connu. Elle a dépassé la quarantaine, elle est professeure de piano. Ils se sont aimés il y a une quinzaine d’années. Puis séparés. Depuis, le temps est passé, chacun a suivi sa route et les plaies se sont refermées peu à peu. Quand Mathieu vient diluer sa mélancolie dans les bains à remous d’une thalasso, il retrouve Alice par hasard...