Rencontre avec Alexis Michalik

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Ce 12 avril, sort dans les salles Une histoire d’amour. Un film empli d’émotions réalisé par le comédien et dramaturge Alexis Michalik que nous avions rencontré il y a quelques semaines. Interview en toute sensibilité.

Culture

Rencontre avec Alexis Michalik

Une histoire d’amour peut en cacher une autre

J’ai envie de surprendre les spectateurs. Si j’avais appelé le film « Des histoires d’amour », les gens sauraient. Cela commence par l’histoire d’amour de Katia et Justine qui est notre fil rouge et ensuite cela bifurque et on comprend qu’il y a d’autres liens forts. C’est une histoire d’amour avec un grand A.

Cette histoire, comment l’avez-vous imaginée ?

Alexis Michalik (réalisateur et acteur) : Le film est issu d’une pièce de théâtre. J’écoutais une chanson un jour, et j’ai eu un flash, j’ai vu la dernière scène de la pièce. Par contre, je n’avais pas le reste de l’histoire (rire). Du coup, j’ai construit à rebours ma structure pendant un an. Et à la fin, j’ai réalisé qu’étant donné le thème, il faudrait que je sois dans un état émotionnel particulier pour trouver le ton juste en racontant cette histoire. Quelques mois après, j’ai vécu une rupture amoureuse douloureuse, et là je me suis retrouvé au bon endroit émotionnel. C’est sorti très vite. La pièce a été créée à Paris début 2020. Plusieurs personnes m’ont tout de suite dit : il faudrait que tu en fasses un film. Je n’y avais pas du tout pensé. Trois mois après la première, on était tous en confinement ! J’avais beaucoup de temps libre, j’ai commencé à écrire le scénario. Au final, l’envie cela a été d’amener les filles de la pièce avec moi sur le tournage. Cela a été le déclic.

C’est la particularité de votre film, vous avez engagé sur le film les comédiennes de la pièce de théâtre.

Alexis Michalik : Oui tous même la petite Léontine qui jouait en alternance au théâtre avec d’autres fillettes. C’était le vrai challenge. Arriver à financer ce film-là avec cette équipe et ces comédiennes formidables, Juliette et Marica en tête. On a créé notre boîte de production et on est allés chercher des partenaires. Et c’est passé ! Pendant tout le temps où l’on cherchait des financements, on ne l’a pas dit aux filles. On ne voulait pas les décevoir si jamais on n’y arrivait pas. Puis juste avant Noël, on a s’est réunis et la grande annonce a été faite. Elles ont joué cent fois la pièce, elles avaient leurs rôles dans les tripes, tout comme moi qui joue William. On aime nos personnages, on ne pouvait pas les lâcher !

C’est l’une des histoires les plus intimes dans tout ce que vous avez écrit jusqu’ici.

Alexis Michalik : C’est une histoire inventée mais on a la chance quand on écrit de pouvoir se servir de ce qu’on traverse. Quand on vit des moments joyeux, on a envie de parler de ça. Et lorsqu’on passe par des phases plus difficiles, on a la chance de pouvoir les transcender par l’écriture, de les mettre au service d’une histoire. C’était quelque chose que j’avais envie d’explorer à ce moment-là. C’était presque thérapeutique et quand on le jouait tous les soirs sur scène c’était cathartique. Chacun sur le plateau avait aussi ses raisons d’avoir une connexion avec ce rôle-là, avec le deuil, avec la rupture, avec la résilience… C’était joli de toucher ça du doigt, on se retrouvait tous les soirs à pleurer et à faire pleurer le public.

De l’intime, vous faites quelque chose d’universel qui peut toucher tout le monde quel que soit son parcours.

Alexis Michalik : Le personnage de Katia il serait difficile de ne pas être en empathie avec elle. On a tous été quittés mais elle, elle vit le pire cauchemar, elle est abandonnée enfant. Le point d’entrée du film pour le spectateur peut être différent. Parfois c’est Justine, car on a aussi tous quitté quelqu’un. J’essaie de parler à chaque fois de moments où cela bascule. C’est ce qui m’intéresse dans une histoire. Il y a plein de points d’ancrage pour ressentir cette émotion-là. Mais la finalité de ce récit c’est qu’il y a une pulsion de vie. Tour  va si vite, il faut vivre, essayer de profiter de ce que l’on a. On a toujours l’espoir qu’il va se passer quelque chose et que cela va être beau. Il faut juste se laisser la capacité d’y croire, d’aimer. De voir la lumière même dans l’ombre.

Des thèmes forts traversent votre film, la vie, la mort, la famille.

Alexis Michalik : J’ai une obsession du temps qui passe. Cette espèce d’hyper conscience de la mort me pousse à faire plein de choses. C’est cette urgence qui se ressent dans le film. Et ce rapport à la famille, à la filiation. William mon personnage est une version dark de moi-même, quelqu’un qui aurait vécu un deuil, tomberait dans l’alcool et s’abimerait un peu… Ce sont des questions qui habitent tout le monde : l’amour, partir, rester, comment continuer à avancer, comment supporter la perte ? On a tous expérimenté ces émotions. Il est question de malédiction familiale aussi mais que mes personnages prennent avec un humour de résistance. C’était très important pour moi. C’est ce qui m’a donné envie de jouer William. Je me suis dit que j’avais le bon humour pour le jouer. Il a ce sarcasme qui l’empêche de sombrer. Il faut cette distance, il faut cette résistance, il faut cet humour. Cela permet aux personnages de ne jamais se plaindre.

Il y a une petite pointe de fantastique aussi.

Alexis Michalik : J’aime ça dans les films mais je n’ai jamais forcément su l’ajouter dans mes propres histoires. J’ai toujours besoin que ce soit concret et réaliste, que cela soit justifié s’il se passe quelque chose d’un peu magique. Donc dans le film, la touche fantastique, onirique passe par un élément réaliste. C’est tout le challenge, d’ouvrir des portes petit à petit. Je veux laisser le spectateur vivre sa propre aventure, qu’il n’abandonne aucun personnage.

Passer du théâtre au cinéma, est-ce vertigineux ?

Alexis Michalik : On a vécu des choses merveilleuses au théâtre. On entendait les gens rire, rire, rire, puis sortir les mouchoirs et pleurer. On sentait que c’était gagné. La difficulté du film c’était d’enlever la théâtralité et de faire en sorte de créer un objet de cinéma s’adressant à tout le monde et non pas à ceux qui avaient vu la pièce. On ne mentionne d’ailleurs pas sur l’affiche que c’est l’adaptation d’une pièce. Le film a une vie à part. Le montage a été un long processus. On a coupé 20 minutes de film, beaucoup de transitions, pour lui donner un rythme très rapide. On en sort avec un effet tourbillon. Dans les retours qu’on avait eu, on nous avait dit : je n’ai pas envie qu’on m’explique tout. Au théâtre, parfois il faut récapituler. Au cinéma, il ne faut pas être trop explicatif. J’ai enlevé des phrases, rajouté des regards, des silences.

Et pour les comédiens ?

Quand on est acteurs, on sait faire les deux. On se rend compte que quand on est au cinéma, on n’a pas besoin de porter la voix comme on la porte au théâtre. Très naturellement, on va trouver sa justesse et faire confiance au micro. Les filles connaissaient tellement bien leurs personnages,  leurs textes sur le bout des doigts. Je n’ai pas eu à énormément les diriger. On avait répété en amont. Au plateau, au premier jour de tournage, on connaissait toutes nos scènes et notre parcours par cœur. On était dans un rythme soutenu en plus, avec 30 jours pour tourner, 56 décors à gérer. Cela nous a grandement facilité la tâche. La première semaine était consacrée aux scènes de Juliette et Marica. Première réplique, première scène, on a compris qu’elles étaient au taquet et ne se tromperaient jamais dans leurs répliques. La scène du Mont St-Michel, c’était incroyable. On a commencé directement par les gros plans, tellement l’émotion était là. Les figurants, l’équipe technique étaient impressionnés. Il y avait une vraie confiance entre nous. D’une grande simplicité. Sans jamais aucune tension. La scène du mariage, on a l’impression d’en avoir vécu un vrai. Il y avait un truc vraiment fou. Comme si on ne jouait pas et qu’on était là, assis sur un muret à disserter de la vie.

On vous sent heureux de ce film.

Je suis serein. J’ai de très bons retours. Les gens sont émus. Quand on l’a présenté à Angoulême l’été dernier, on a vu le public touché à la sortie. C’est un film qu’on a vraiment fait entre amis, de manière authentique, avec le cœur. C’est tellement rare ce genre d’aventure. Tous les petits rôles sont joués par des amis. On l’a fait comme on le rêvait et ce quel que soit le résultat.

Vous travaillez sur un autre projet ?

Je viens de finir l’écriture d’une pièce qui sera jouée l’année prochaine, je ne sais pas encore où. Ce sera la fin de ma trilogie contemporaine après Intramuros et Une histoire d’amour. Les histoires m’habitent en permanence, et à un moment l’une d’entre elles est complète. C’est là où je me dis que maintenant il faut que je me pousse un peu et que ça sorte. Pour cette pièce, j’étais sur un tournage en tant qu’acteur qui se terminait en Guadeloupe. J’ai pris un airbnb pendant 15 jours et j’ai écrit la pièce, isolé. C’est mon secret pour écrire, m’ennuyer un peu et me mettre à écrire sans m’arrêter.

Propos recueillis par E.Cuchet

Une histoire d’amour

Un film d’Alexis Michalik / En salles depuis le 12 avril

Avec Juliette Delacroix, Marica Soyer, Alexis Michalik

Synopsis : Katia et Justine tombent amoureuses. Malgré la peur de l’engagement et le regard des autres, elles décident de faire un enfant, laissant le hasard décider de qui le portera. Mais alors que Katia tombe enceinte, Justine la quitte soudainement. 12 ans plus tard, Justine est retournée à une vie rangée et Katia, qui a gardé l’enfant, apprend qu’elle est condamnée. Contrainte de trouver en urgence un tuteur pour sa fille, elle se tourne vers sa seule option : son frère William, écrivain cynique et désabusé…