Max Jacob, écrire pour exister

Le cycle des commémorations de la Seconde Guerre mondiale débute par un hommage à une grande figure, disparue il y a 70 ans : Max Jacob. Tour d’horizon du parcours organisé à Orléans pour (re)découvrir ce poète et artiste tourmenté, assassiné en 1944 parce qu’il était juif.

Max Jacob n’est pas une figure du passé

De la Médiathèque au musée des Beaux-Arts, du centre Charles-Péguy au Musée Mémorial des enfants du Vel d'Hiv, les lieux de culture s'unissent, ce printemps, pour célébrer la mémoire de Max Jacob, « mort pour la France » au camp d'internement de Drancy, le 5 mars 1944. L'artiste tourmenté, le poète (il est l'inventeur du poème en prose), l'homme marginalisé, persécuté, « assassiné » parce qu'il était juif : trois facettes d'une figure illustre, mais paradoxalement méconnue, à découvrir à partir du mois de mars.

« La mobilisation des établissements orléanais, le rassemblement des forces vives à l'heure du 70e anniversaire de sa mort, témoignent d'un geste extrêmement fort en direction de Max Jacob, relève, émue, Patricia Sustrac, présidente de l'Association des amis du poète. Ce qui était inscrit dans les fonds d'une ville, dans la mémoire d'un certain nombre, devient ainsi une mémoire collective. » Et l'hommage est d'autant plus beau que l'auteur est également célébré à travers le Printemps des poètes 2014, événement national et « caisse de résonnance inouïe qui va lui permettre de capter beaucoup de publics ». Et Patricia Sustrac de poursuivre : « Les choses se sont faites naturellement. C'est son temps, son époque. Max Jacob n'est pas du tout une figure du passé ; on peut le lire, l'écouter, le capter avec notre sensibilité d'aujourd'hui. »

 

Une personnalité hors norme

Personnalité littéraire et artistique marquante de la première moitié du 20e siècle, Max Jacob a eu un parcours de vie atypique, hors norme, qui trouve un écho dans les différentes manifestations organisées à Orléans (lire programme). Poète, essayiste, peintre, esprit brillant du Paris des Années folles, l’auteur du livre Le Cornet à dés est ami de Picasso, Cocteau, Apollinaire, Toulouse, Malraux et Matisse avec qui il entretient une correspondance assidue. Une effervescence artistique retranscrite à la Médiathèque, détentrice d’un fonds Max Jacob quasiment unique en France, qui a concocté un programme alliant découverte de ses manuscrits, lecture de textes et rencontres. Juif de naissance converti au catholicisme, rongé par la misère et les déchirements intérieurs, Max Jacob s’installe, à partir de 1936, à Saint-Benoît-sur-Loire où il mène une vie quasi monacale jusqu’en 1944. De cette période propice à une sérénité et une paix intérieure jaillissent des oeuvres spirituelles, des textes mystiques et des échanges épistolaires lumineux, présentés au musée des Beaux-Arts. « Les derniers travaux du génie créateur révèlent une personnalité attachante et touchante », souligne Bénédicte de Donker, responsable de l’exposition.

L’art est bientôt rattrapé par l’histoire... Dès 1940, Max Jacob subit toutes les mesures de persécutions prises contre les juifs par les nazis et Vichy : interdiction de publication, spoliation de ses droits d’auteur, port de l’étoile jaune... « De poète, il devient un homme comme un autre, puis un juif comme un autre, tout fervent catholique qu’il est », expose Nathalie Grenon, directrice du Cercil- Musée Mémorial des enfants du Vel d’Hiv qui explore la fin de la vie de Max Jacob (1940-1944) à travers une exposition quasi inédite, enrichie par des prêts exceptionnels des Archives départementales et de la Bibliothèque nationale de France. « Il a été arrêté à son domicile en février 1944, conduit à la prison d’Orléans, avant d’être transféré au camp de Drancy, raconte la directrice du Cercil. C’est là qu’il est décédé des suites d’une congestion pulmonaire, le 5 mars, soit deux jours avant son départ pour Auschwitz où il aurait probablement été emmené à la chambre à gaz, vu son âge et son état de santé précaire. » Poignant, le récit du Cercil est illustré par des pièces jamais montrées au public, tels son portefeuille contenant les papiers réunis dans l’urgence au moment de son arrestation (carte d’identité avec le tampon juif, livret militaire, acte de baptême) et son étoile jaune. Ce poète des mots et de l’image qui a dit un jour « La vie est un livre suffisant » est finalement entré dans la postérité, et en ce printemps, dans le coeur des Orléanais.

le poète max jacob

Emilie Cuchet

Au programme ce printemps :

/// Cercil - Musée-Mémorial des enfants du Vel d’Hiv

affiche exposition « Max Jacob, un poète assassinéexposition « Max Jacob, un poète assassiné. Drancy 1944 », du 18 mars au 21 septembre. Plongée dans la vie de l’homme, du début de l’Occupation et des persécutions antisémites à son arrestation et sa mort au camp de Drancy. Présentation de documents rares et souvent inédits : son étoile jaune, sa fiche de recensement en tant que juif, son portefeuille avec tous les documents qu’il a emmenés à Drancy, des lettres envoyées à ses amis comme Roger Toulouse…
Visite commentée autour de la correspondance de Max Jacob, le 22 mars à 15h. Plusieurs conférences prévues : « Max Jacob pendant l’Occupation », le 18 mars à 18h ; création « Ne mets plus jamais Jacob sur les enveloppes, mets Monsieur Max », le 23 mars à 15h ; « Des poètes assassinés », le 1er avril à 18h ; conférence « Les juifs convertis en France » le 8 avril à 18h ; projection du film « Monsieur Max », le 15 avril à 20h ; conte « Le Marmiton Gauwain » le 23 avril à 15h.

/// Musée des beaux-arts

exposition « Max Jacob, l’art et la guerre », du 18 mars au 15 juin. Évocation de la vie de l’artiste et du poète pendant la période sombre (1936- 1944), à travers les collections du musée (oeuvres graphiques, écrits, correspondances), des collections privées inédites, des prêts exceptionnels de la Bibliothèque nationale de France (BNF) comme le livre La Côte que Max Jacob travaillait à illustrer au moment de son arrestation… Visites guidées commentées le 6 avril et le 15 juin à 15h30.

/// Centre Charles-Péguy

« Journal de guerre de Max Jacob », le 4 avril à 18h30. Conférence avec projection, par Hélène Henry et Francis Deguilly, éditeurs de ce journal dans Les Cahiers Max Jacob.

/// Médiathèque

Printemps des poètes « La poésie au coeur des arts et le poète Max Jacob », du 8 au 23 mars. Parcours-découvertes « Max Jacob, poète » le 28 mars à 12h30 et le 29 mars à 14h30 ; rencontre avec le lauréat du prix Max Jacob 2014, le 27 mars à 18h30 ; rencontre « Les bibliothèques pillées sous l’Occupation » le 10 avril à 18h30. La Médiathèque possède un fonds Max Jacob exceptionnel, l’un des plus importants de France, rassemblant manuscrits, dessins, correspondances, éditions originales, reliures artistiques…

Orléans se souvient : des hommes, une histoire ...

 

Orléans s'implique en commémorant, cette année, le 70e anniversaire de la libération de la ville, le 16 août 1944, et le centenaire de la Grande Guerre, celle qui devait être la « der des ders ». Pour ne pas oublier, se souvenir, transmettre aux jeunes générations notre Histoire commune, le programme des manifestations vient mettre en lumière le destin d'Orléanais célèbres ou inconnus, soldats ou civils restés à l'arrière, pour mieux comprendre l'impact sur une ville, ses habitants, une époque. Jusqu'à la rentrée, la Seconde Guerre mondiale sera au coeur des commémorations avec des hommages à Max Jacob (ce printemps) et Jean Zay (juin), avant la célébration de la libération d'Orléans. Puis viendront les commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale avec, en septembre, l'inauguration de l'exposition « In Memoriam » au centre Charles-Péguy et un hommage à Maurice Genevoix.

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