Tout commence au lycée Saint-Paul.
Au début de l’informatique, en 1986, Jean de Pélichy travaille chez Alcatel lorsqu’il apprend que l’intendant du lycée Saint-Paul d’Orléans cherche une manière efficace de contrôler l’accès des centaines d’élèves au self, plutôt que de tout consigner à la main. Avec son collègue et futur associé Xavier M., Jean met au point un premier logiciel et une borne à capture, une machine qui avale et restitue les cartes. Le système est testé dans l’établissement et fonctionne avec succès. Les deux hommes décident alors de créer Turboself, qui perdure encore aujourd’hui grâce à la spécificité du système français, qui n’existe pas dans les autres pays. En France, on ne refuse pas à un enfant ou un adolescent de manger le midi parce qu’il a oublié sa carte, ou que son solde est insuffisant et qu’il n’a pas d’argent sur lui.
Mange-t-il bien à la cantine ?
Outre la création de cette borne, Turboself conçoit un distributeur de plateaux relié à un système informatique pour identifier l’élève, noter l’information et ainsi lui laisser l’accès à la cantine. En cas d’oubli du précieux sésame, l’intendant peut forcer le passage à la borne, et le repas est notifié dans le logiciel. Dans les autres cas, solde nul ou négatif, la somme à payer est automatiquement reportée sur une facture envoyée aux familles.
Autre vertu : savoir qui déjeune, ou pas, à la cantine. Au collège, un demi-pensionnaire est en effet tenu de se présenter au self. En cas d’absence, le CPE peut ainsi prévenir les parents, et accessoirement s’inquiéter d’une désertion. Le comptage précis permet aussi d’éviter une erreur de facturation des sociétés de restauration. Quant aux collectivités territoriales, le logiciel offre l’avantage de recenser les familles qui doivent être aidées, et permet une tarification en fonction du quotient familial. Chaque jour, l’établissement peut aussi sortir les anomalies : les soldes débiteurs, le nom des absents, les cartes oubliées… À cela s’ajoute une foule d’informations utiles pour le pilotage et la gestion comptable et financière. Du côté des parents d’élèves, une application téléchargeable sur Smartphone permet la réservation, le paiement et l’annulation des repas.
Conception et fabrication 100 % ingréenne
À Ingré, où tout est conçu et fabriqué, plus de 2 500 appareils sortent chaque année de l’unité de production. Pas de travail à la chaîne, mais des techniciens qui montent, vissent et câblent à la main toutes les machines. Chaque distributeur de plateaux pèse près de 200 kg, et a fait l’objet de 11 brevets, suite aux remontées clients qui ont permis une amélioration constante. 60 % des matières premières sont achetées en local, en particulier l’inox, base de tous les produits et résistant aux gestes brusques des élèves. Les cartes électroniques sont fabriquées en Sologne. Aucune obsolescence programmée puisque les premières machines vendues il y a deux décennies fonctionnent toujours
aujourd’hui. « Ce sont des valeurs que nous a transmises notre père et c’est aussi un choix stratégique. Nous considérons qu’un matériel qui tombe tout le temps en panne demande un gros SAV, et qu’il vaut mieux utiliser notre temps et nos ressources ailleurs », précise Tiphaine de Pélichy. Résultat, un produit haut de gamme et une spécificité unique par rapport à ses concurrents : Turboself est à la fois éditeur de logiciels avec aujourd’hui 25 développeurs, et fabricant de son propre matériel, ce qui facilite grandement la maintenance. Pour mesurer le niveau d’exigence, seulement 2 personnes gèrent les réparations, pour 5 500 clients et 4 000 000 de passages de plateaux par jour…
L’IA au service de la lutte anti-gaspi
À l’affût de toutes les pistes d’amélioration, Turboself vient de mettre au point un logiciel de prédiction de repas, basé sur l’intelligence artificielle, utilisant la technologie dite de machine learning. « Grâce à l’ensemble des données recueillies auprès des établissements scolaires depuis 20 ans, Turboself possède l’historique indispensable pour entraîner l’IA », explique Quentin de Pélichy. Le 22 mai, un nouveau logiciel maison a été mis en service au lycée Benjamin-Franklin d’Orléans. Avec une prédiction fiable à 95 %, le chef cuisinier connaît désormais la veille le nombre de repas qui est consommé le lendemain. Objectif : décongeler le nombre de steaks et éplucher les kilos de patates nécessaires, sans surplus ! Le logiciel peut même, très en amont, prévoir plusieurs semaines à l’avance le nombre de repas consommés. Un atout considérable pour les cuisines centrales qui achètent des tonnes de denrées alimentaires avec des commandes faites en majorité « au doigt mouillé ». Dans un lycée de 800 élèves qui déjeunent à la cantine, ce sont en effet 40 000 repas en moyenne qui partent à la poubelle chaque année… Avec un prix moyen de 2,50 €, ce sont près de 100 000 € économisés par l’établissement. Une performance extrêmement attendue par les collectivités pour répondre à la loi EGalim et réaliser des économies substantielles en période de restriction budgétaire. Un procédé gagnant sur deux tableaux, proposé en option du logiciel de base à un prix minime.
Leader incontesté du marché, Turboself s’implique aussi dans la vie locale.
À la fin des années 80, il existait 15 acteurs sur ce segment. Aujourd’hui, ils ne sont plus que trois, et Turboself rafle près de 80 % du marché. L’entreprise équipe ainsi 3 000 collèges sur les 5 400 présents dans l’hexagone et 1 500 lycées sur 2 500. Sa force : la fiabilité du matériel, fabriqué, stocké et réparé en France. « Ce qui nous protège, c’est notre matériel, alors que nos concurrents l’achète. Pour développer votre propre distributeur de plateaux, ce sont des années de recherche… » souligne Tiphaine.
Déjà opérationnels à hauteur des deux tiers dans les décisions de l’entreprise, sœur et frère sont aussi bien décidés à s’investir davantage dans le tissu économique local, conscients des enjeux et retombées économiques. Pour répondre et soutenir les actions de la métropole, Turboself répond présent aux évènements et sollicitations, ravi de découvrir la richesse économique du territoire à travers les rencontres et l’entraide qui en découlent. Pour ces jeunes dirigeants, une façon de sortir du quotidien et de se nourrir de l’expérience d’autrui, en attendant de reprendre complètement les rênes en 2027.
✍️ Laurence Boléat
📸 Orléans Métropole - Nata Shilo