Rencontre avec Edouard Bergeon, réalisateur de "La Promesse Verte"

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A quelques jours de la sortie du film La Promesse Verte - avec Alexandra Lamy et Félix Moati, très inspirés -, le 27 mars dans les salles, nous avons rencontré Edouard Bergeon au cinéma Pathé Orléans. Un réalisateur engagé, défenseur de la nature, amoureux de l’humain, qui dénonce avec fièvre le scandale de l’huile de palme dans un thriller écologique percutant.

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Rencontre avec Edouard Bergeon, réalisateur de "La Promesse Verte"

Quelle est la genèse du film ?

J’étais en plein de tournage de mon premier long-métrage Au nom de la terre, très inspiré de l’histoire de mon père et de mon vécu, quand j’ai lu un article de presse de Libé qui parlait des agriculteurs qui avaient été encouragé à cultiver du colza il y a trente ans. Ils venaient manifester devant une raffinerie Total qui allait devenir « verte » en important de l’huile de palme moins chère pour faire des carburants durables, de Malaisie et Indonésie. Une fois encore, les agriculteurs français étaient les dindons de la farce. Cela m’a donné le point de départ. Et puis, pour un deuxième film, j’avais envie de parler de lobbying, de politique, de géopolitique… Très vite, s’est imposée à moi l’idée de raconter le combat d’une maman au nom de son fils.

Quand Félix Moati a lu le scénario, il m’a dit que c’était un film encore plus personnel qu’Au nom de la terre et qu’après avoir raconté mon père, je racontais maintenant clairement ma mère. Il incarne un étudiant en anthropologie qui s’intéresse aux autochtones, les paysans chassés de leurs terres par les compagnies forestières en Indonésie. Il a son appareil photo toujours avec lui. J’ai été grand reporter… Quelque part cela rassemble un peu à mon histoire fragmentée. On met toujours de soi dans un film.

Vous connaissiez l’Indonésie ?

J’avais tourné un film documentaire en Indonésie. La déforestation est un sujet majeur pour moi. J’y suis retourné en repérage pour La Promesse Verte, j’ai réalisé les images de la forêt primaire qu’on voit au début du film, à l’ouest de Bornéo. Le reste du film a été tourné en Thaïlande car les équipes de cinéma y sont très fortes et cela se ressemble beaucoup. Nous avons trouvé des décors parfaits. Il y a aussi une partie tournée à Paris et aux Sables d’Olonne où j’allais en week-end, enfant. J’ai imaginé mon héros y naître, vouloir devenir un aventurier, un explorateur et plus tard partir à la rencontre d’une jeune activiste des temps modernes inspirée de vraies figures comme Mina Setra. Je voulais montrer que les lanceurs d’alerte sont souvent des jeunes, et des jeunes femmes qui défendent leurs peuples, leurs forêts. C’est un film de femme. C’est une maman combattante, et une jeune activiste qui insufflent une énergie au jeune étudiant français.

Comment avez-vous choisi vos acteurs ?

Alexandra Lamy c’est une fille populaire. On l’a tous vu dans notre salon avec Un gars, une fille. Je voulais une madame tout le monde pour jouer cette maman qui a besoin d’aller en Indonésie pour aider son fils, injustement emprisonné. Elle est issue de classe moyenne, elle doit vendre sa voiture pour pouvoir partir. On peut facilement s’identifier à elle, se mettre à sa place. C’était ma volonté d’être à hauteur de cette femme. Quand elle est perdue, elle entre dans cette gigantesque lessiveuse. Le spectateur mène l’enquête avec elle. Et en même temps, elle devient une lionne, une mère louve, quand son fils est condamné à mort. Elle ne lâche rien alors que ce n’est pas son monde, qu’elle n’en possède pas les codes.

Il y a eu un long travail d’écriture. Je suis journaliste à la base, documentariste. Ce qui compte pour moi, c’est de faire un cinéma du réel, crédible dans les décors, dans le choix des comédiens, dans l’écriture. On a écrit pendant presque trois ans avec mon co-scénariste. Je voulais partir avec des comédiens sympas à l’autre bout du monde. Il y a tout un tas de personnages baroudeurs, des étrangers qui ont eu des vies torturées, un peu mystérieuses. Ils ponctuent le film, comme le personnage australien, très fort. L’acteur a improvisé un chant irlandais lors de la scène dans le couloir de la mort. Les acteurs sont allés loin dans l’émotion. D’ailleurs Alexandra Lamy et Félix Moati avaient le même coach durant le tournage, une manière de créer un lien entre la maman et son fils qui au final ont très peu de scènes ensemble. Mais on a l’impression qu’ils sont ensemble tout au long du film. On ne peut penser à l’un sans l’autre.

Le film est un véritable thriller écologique. 

Dans cette trajectoire humaine, le destin de cette maman démunie, il était primordial de distiller des informations capables de nous faire réfléchir. Je pense notamment à cette « master-class » de Philippe Torreton, ce grand comédien de théâtre qui nous donne une leçon de cinéma et de lobbying dans le film. A tourner, c’était fabuleux !

J’ai vraiment réalisé, fabriqué, le film qui me faisait envie et mêlé naturellement le thriller et le côté écologique, sans réfléchir. De manière naturelle. Et le réalisme est vraiment au cœur du film. Tout ce qui nourrit les personnages est vrai : les lobbies, l’amendement à l’Assemblée nationale, le usines d’huile de palme, les milices qui attaquent les villages... Nous avons eu des conseillers du Quai d’Orsay sur le film - un lieu où l’on a pu exceptionnellement tourner - nous avons rencontré des ONG… On était dans le cœur du réacteur. Cela ne laisse pas indemne.

Le film illustre le greenwashing. Avec cette idée qu’en pensant faire bien, on fait du mal…

Carburant vert, électricité verte… On se déculpabilise, on se dit que tout va bien, qu’on a fait notre part. On ne pense pas à tout ce qui se cache derrière. Pour produire tout cela, il faut du gazole, des villageois sont exploités, des forêts détruites… Après je ne suis pas un procureur, j’invite à réfléchir, je n’ai pas les solutions. Je montre des vies ballotées dans un monde d’économie mondialisée. Je reste optimiste. Le combat continue. C’est le message du film. Si en sortant du cinéma, on discute, on est interpellés, pour moi la mission sera accomplie. La nouvelle génération est très investie sur ces sujets.

Quels sont vos premiers retours sur le film ?

Les spectateurs sont scotchés. Hier soir à Amiens, on a fait une avant-première avec 150 personnes. Les gens sont tous restés au débat alors qu’il était plus de 23h. C’est une histoire qui les choque, ils ont besoin d’en parler, cela les questionne sur plein de choses. On se rend compte aussi qu’on a de la chance d’être en France.

Quels sont vos projets ?

Je rêve d’un triptyque, de faire un troisième film agricole, un grand récit sur plusieurs générations, un peu à la manière d’un Il était une fois en Amérique ou Le Parrain. Une histoire qui raconte beaucoup de bonheur dans la ruralité. Il existe peu de récits de ce type au cinéma. Le cinéma américain, Sergio Leon, John Ford, cela m’a toujours parlé. Mon père a été cow-boy pendant un an dans un ranch du Wyoming, en 1977-78. C’était déjà ça au Nom de la terre, c’était un western moderne. Le cinéma se vit sur grand écran. J’aime à la fois montrer les grands espaces et mettre le focal sur les visages, les émotions. J’ai envie que mon troisième long-métrage soit encore plus épique, avec un héros fort.

Je viens de réaliser un documentaire pour France 2 qui a été diffusé en février. Femmes de la terre raconte 70 ans de combat pour sortir du statut d’invisibilité à aujourd’hui actrice de l’agriculture et de la transition écologique. On me voit un peu à l’image… J’ai effectué un tour de France pour rencontrer des femmes extraordinaires J’ai raconté mon père, ma mère, mes grands-mères, maintenant je sors un petit peu du bois.

Propos recueillis par Emilie Cuchet

La Promesse verte

Sortie nationale le 27 mars (drame)

Synopsis

Martin, 28 ans, rejoint une ONG en Indonésie pour faire des recherches. Après un tragique événement, il se rend à l'aéroport pour rentrer en France, mais il est arrêté avec de la drogue dans ses affaires et injustement condamné à mort. Pour tenter de sauver son fils, Carole se lance dans un combat inégal contre les exploitants d'huile de palme responsables de la déforestation et contre les puissants lobbies industriels.